LA FONDATION DE LA PAROISSE DES TROIS SAINTS HIÉRARQUES :

les fondements théologiques et spirituels du retour à l’Icône.

Le socle hésychaste

AscensionLa filiation ecclésiale et spirituelle est le garant de la fécondité, et de la force de la prière et de la créativité artistique – bien sûr en tant qu’elles sont des activités divino-humaines, c’est-à-dire qui impliquent la collaboration entre Dieu et l’homme. Si la circulation de ce courant de vie est interrompue, il n’y a plus ni prière ni création. Reste la nécessité d’accepter humblement de n’être pas libre de choisir celui qui nous a engendré en esprit, mais de l’accepter des mains de la Providence, tel, par exemple, qu’Elle le présenta dans la personne du Père Athanase aux yeux du futur métropolite Antoine, comme nous l’avons vu plus haut.

       Ce courant de vie a pour fruit la prière, et il ne peut se développer sans l’hésychasme, comme perfection de la vie spirituelle. C’est l’hésychia que Saint Isaac le Syrien nomme, elle aussi, « catholique » parce qu’elle possède le Christ intégral et qu’elle unit celui qui prie à tous les hommes. « L’icône – [comme l’icône de la Saint Trinité peinte par Saint André Rublev, l’icône même de l’Hésychia] – est un témoignage de la déification de l’homme, de la plénitude de la vie spirituelle, une communication par l’image de ce qu’est l’homme en état de prière sanctifié par la grâce. C’est en quelque sorte de la peinture d’après nature, mais d’après la nature rénovée, à l’aide de symboles. Elle est le chemin et le moyen ; elle est la prière même. De là, la majesté de l’icône, sa simplicité, le calme du mouvement, de là le rythme de ses lignes et de ses couleurs qui découle d’une harmonie intérieure parfaite (88)».

       Le Père Athanase Netchaïev, pendant douze ans, fut cette icône et celui qui porta spirituellement la communauté, moines et paroissiens, de la rue Pétel. Des réunions monastiques étaient organisées régulièrement et tous les moines et candidats au monachisme y assistaient pour approfondir leur connaissance. Le futur métropolite Antoine fit une fois un exposé sur Saint Nil de la Sora. Le père Athanase ne venait jamais. Le métropolite Antoine lui demanda pourquoi. Il répondit : « Le monachisme, on ne peut en parler, il faut le vivre ». En 1943, malade, il écrivit un mot au métropolite : « Je viens d’avoir l’expérience de ce qu’est le silence contemplatif. Maintenant, je peux mourir. » Trois jours après, il était mort (89).

       Il fut le Père spirituel non seulement du métropolite Antoine, mais aussi de l’Archimandrite Serge Schevitch qui devint moine lui même avant sa mort en 1943, et fut lui-même le père spirituel du père Grégoire Krug. Tous étaient des hommes de silence et de prière, des hésychastes. Il y eut toujours ainsi à l’Exarchat la continuité d’un socle monastique, enraciné dans la tradition spirituelle du monastère de Valaam. En effet, dans les quelques années qui suivirent la mort du Père Serge en 1987 également, trois monastères furent fondés qui prirent à leur tour la relève de l’hésychasme et de la prière ininterrompue. Mais d’autre part, que ce soit sur place, ou bien plus tard, dans la maison de Nicolas Berdiaev, une petite communauté monastique fut toujours associée à l’Eglise des Trois Saints Hiérarques.

       Le Père André Sergueenko, par ailleurs, en 1934, avait acquis un terrain dans la vallée de Chevreuse sur lequel il avait bâtit une église et une petite maison. Il légua le tout au Père Serge Schevitch lorsqu’il rentra en Russie en 1945 et c’est là que vécut le Père Grégoire à partir de 1948, lorsqu’il eut prononcé ses vœux monastiques.

       Devant la pauvreté de la communauté qui n’arrivait pas à faire vivre les prêtres, on décida en 1933 de fonder une autre paroisse, puis une deuxième en 1935, pour essayer de toucher un plus grand nombre de paroissiens et d’améliorer la situation. Ainsi le Père Stéphane Svetozarov, fonda la paroisse de la Sainte Trinité (90) à Vanves, impasse Alexandre, où Krug peignit déjà des icônes, comme la grande icône de la Trinité, paroisse qui fut transférée plus tard rue Michel-Ange.

       Deux ans plus tard, le Père Michel Belsky fonda la paroisse de Sainte Geneviève, rue de la Montagne Sainte Geneviève. Des paroissiens de la rue Pétel, parmi les plus fidèles, furent répartis entre les deux paroisses. Le futur Père Serge fut délégué à la Paroisse de Vanves et le futur métropolite Antoine à celle de la Montagne Sainte Geneviève. Cette paroisse, « la plus pauvre de Paris (91)» , comptait parmi ses paroissiens le peintre Milioti, Eugraphe Kovalevsky – qui chantait au kliros, les Zimine, les Lossky…

       Dans l’esprit des fondateurs, cette paroisse devait être l’église de la Confrérie et relayer ses activités missionnaires. Au départ, on reprit la célébration des deux rites, l’oriental en slavon et l’occidental en français. Mais il fallait pour cela deux prêtres et les français se faisaient trop rares. On se mit donc à célébrer peu à peu seulement le rite oriental, et par la suite uniquement en français. La tâche principale devint alors peu à peu la traduction des textes orientaux. « Le P. Michel Belsky, écrit plus tard E. Kovalevsky, dont la paroisse recueillit certains éléments français [après le départ du Père Lev Gillet en 1938], continuait dans une certaine mesure l’œuvre de l’Orthodoxie Française. Mais il était lié par la majorité écrasante de ses paroissiens qui étaient russes (92)». C’est là que le métropolite Antoine fut tonsuré moine, en secret parce qu’il était médecin, par le père Athanase Netchaev et en présence du Père Serge.


88) L. Ouspensky, L'icône, vision du monde spirituel, p.22. Voir dans ce volume p. 126.

89) Entretien avec le métropolite Antoine de Mai 2000.

90) Les statuts de l'association cultuelle datent de Mai 1937, mais les documents les plus anciens remontent à 1933.

91) Sur la vie de cette paroisse, voir l'article de Galina Makhrova, " Souvenirs 2ième parie, Paris 1949-1959 ", publié en russe dans Miara, " Literatournyï istoriko-khoudojestviennyï religiozno-filosofskiï journal ", n° 4, St Petersbourg, 1995, p. 140-162, et la partie consacrée aux Ouspensky, p. 142-147.

92) Bref historique, aux dates correspondantes.   

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