Mgr Benjamin FEDCHENKOV

(1880-1962)

Mgr Benjamin (Fedtchenkov) Mgr Benjamin, d’abord inspecteur à l'Institut St-Serge à Paris, de 1925 à 1930, se sépara de monseigneur Euloge en 1931, pour rejoindre le «podvorije» des Trois Saints Hiérarques, rue Pétel, pour rester dans le Patriarcat de Moscou ; il fut ensuite nommé exarque du Patriarcat de Moscou aux États-Unis, puis archevêque de Riga. La traduction est du professeur Cyrille Grigorieff.

LE CIEL SUR LA TERRE Enseignement de saint Jean de Cronstadt sur la Divine Liturgie

I- UNE CELEBRATION CELESTE

« O grandeur, ô magnificence, ô joie de la Divine Liturgie, ô richesse spirituelle, ô bonheur ! » « Pendant la liturgie, le ciel et la terre se rencontrent. Dieu vit avec les hommes. Les anges du ciel se mêlent aux habitant de la terre. Voici présents les visages des prophètes d'autrefois, des saints patriarches, des apôtres, des évangélistes, des saints hiérarques et martyrs, des ascètes et de tous les saints. Quelle assemblée de lumière, vivante, débordante d'amour céleste, splendide et bienheureuse ! Mais nous, hommes livrés aux passions terrestres, remarquons-nous seulement, réalisons-nous cette divine grâce, ces dons généreux et surnaturels de notre Dieu plein de bonté - Nous nous laissons rabaisser sans cesse par les passions de ce monde et nous nous éloignons d'une telle sublimité offerte pour notre rachat, d'une pareille ouverture au bonheur éternel, de l'union avec Dieu, sa sainte Mère, les anges et tous les saints, avec tous les justes chrétiens de la terre. Oh, réveille-toi, réveille-toi chaque jour, à chaque heure, fils de l'Église orthodoxe ; que ton esprit et que ton coeur s'arrachent à la fascination de ce monde ! C'est ici que se manifeste à toi le Père du siècle à venir et le créateur de toutes choses visibles et invisibles, celui qui t'a prédestiné à la vie éternelle ! Sur terre est le lieu de la préparation, de la lutte contre le péché, de tes actions méritoires, des épreuves et de la patience. Merveilleuse, pleine de majesté, toute divine est sur la terre la célébration de la liturgie. Sa vivifiante célébration est ce qu'il y a de plus élevé ici-bas !Une célébration terrifiante même pour les anges du ciel, car voici que sont présentés, puis offerts aux fidèles le Corps sacré et le Sang précieux de Dieu lui-même ! Oh ! combien est majestueuse, sainte et salutaire, édifiante la liturgie pour le chrétien ! L'Église vraiment devient Ciel, puisque Dieu-Trinité descend chaque jour sur l'autel saint et vivifiant, pour accomplir le suprême miracle de sa miséricorde, puisqu' Il transforme le pain et le vin dans le très Saint corps et sang du Fils de Dieu, puis nous accueille dans la très Sainte Communion.. » La liturgie et, en général, les offices de notre Église orthodoxe, aussi bien ceux des fêtes que ceux des jours ordinaires, mais surtout bien sûr les premiers, nous mettent en relation vivante avec la Fête de la Trinité, avec le Seigneur Jésus-Christ, la très pure Mère de Dieu, avec les puissances célestes, les Anges et avec tous les Saints que sans cesse nous glorifions, remercions, implorons pour leur intercession et leurs bienfaits, leur continuel secours. Le Seigneur a dit : « Voici que je suis avec vous jusqu’à la fin des siècles » (Jean 28)-Cette présence du Seigneur Dieu, nous la rencontrons particulièrement dans ces offices et plus précisément encore au moment de la Divine Liturgie, lorsque d’une manière très substantielle, nous nous unissons à Lui par la Communion aux Saintes Espèces. « L'Esprit Saint, le Fils de Dieu, Jésus-Christ et celui qui est leur commune et substantielle origine, Dieu le Père, nous sont alors plus proches que toute créature de ce monde. Ils sont au-dessus de nous et en nous, agissant par notre ministère, plus particulièrement durant la Sainte Liturgie. Comme un souffle régénérateur très pur, comme une lumière vivifiante et brûlante, comme une huile d'onction très sainte, comme une nourriture et un breuvage spirituels, comme une paix, un parfum céleste, comme une force qui donne courage et audace, comme une douce espérance, une puissance de vie, une aide efficace, comme la respiration très pure des plus doux aromates qui attirent tout vers LUI et Celui en qui Il repose, comme enfin une inexprimable, merveilleuse joie de tout notre être, comme une beauté spirituelle qui embellit merveilleusement l'âme et le corps - voilà quels trésors de biens spirituels nous accorde le Fils de Dieu Jésus-Christ par son Esprit Créateur qui est Lumière et Vie ». Tout en lisant ces lignes, nous nous souvenons, bien sûr, du merveilleux entretien de Séraphin de Sarov avec Nicolas Motovilov, au sujet de ce qui constitue la vie chrétienne, - je veux dire, le Royaume de Dieu, l'acquisition du Saint-Esprit. Comme Motovilov ne saisissait toujours pas ce qu’est la grâce, alors, à la prière du saint, le Saint-Esprit le lui fit comprendre par une expérience, à travers le visage de Séraphin plus lumineux que le soleil lui-même et par la sensation d'une chaleur surnaturelle, bien qu'à cet instant la neige tombât sur eux, par le sentiment d'une douceur, d'un bonheur que l'interlocuteur du saint ne parvenait pas à définir, enfin par un parfum inhabituel bien que la nature semblât morte tout alentour. C'est à partir de cette similitude d'expériences spirituelles que nous sommes amenés à conclure à leur commune origine, l'Esprit Saint lui-même, et à l'identité de sainteté du Père Jean et de Séraphin de Sarov. Le Père jean, dans sa propre expérience, ressentit ce que Séraphin éprouvait, comme il l'écrivit à plusieurs reprises, dans son journal et ailleurs. « Lorsque je communie au Saint Sacrement, je me dis en secret : le Seigneur en personne est en moi, Dieu et homme, substantiellement, en toute pureté, en toute lumière, pour son règne sur toutes choses, pour le renouvellement de toutes choses, ainsi que je le ressens d'une façon toute divine, miraculeuse. Je ne puis dire plus ». Ceci nous fait comprendre pourquoi, rempli d'admiration, le Père jean s'écrie : « Non, il n'y a rien de plus grand, de plus précieux que la Sainte Liturgie, ni au Ciel, ni sur la terre ». Lui-même, après avoir reçu la Communion, se laissait aller très souvent à battre des mains discrètement, selon le témoignage de son disciple le métropolite Séraphin qui l'observait. Mais est-ce ainsi que nous nous comportons en cette célébration à la portée immense - Le Père jean le savait et en était fort peiné, ne cessant de nous inviter à changer notre froideur en la ferveur de sa propre foi : qu'y a-t-il de plus grandiose, de plus touchant, de plus vivifiant sur terre que la célébration de la Liturgie - Ici s'accomplit et se manifeste le plus grand des sacrements, l'union des hommes avec Dieu par la communion à son Corps et à son Sang. Ce sacrement stupéfait l'esprit par sa grandeur et pousse secrètement tout chrétien sincère à l'adoration, à l'action de grâce, à la louange de Dieu. L'action divine qui est accomplie dans la Liturgie dépasse par sa noblesse toutes les autres interventions de Dieu dans le monde, l'acte de la création lui-même. Il s'agit vraiment d'une célébration céleste et divine sur la terre ; y assister en pleine conscience et dignement, est source de bonheur, de paix et de joie pour l'âme! Oh ! Pourquoi si souvent, les hommes témoignent-ils de la froideur envers la Liturgie - C'est bien à cause d'un manque de réflexion, d'une foi vacillante ou nulle ou bien de pensées terrestres. Pourquoi, par exemple, préfère-t-on le théâtre à l'Église - Au théâtre, l'homme ri de lui-même et se complait en ses propres faiblesses, les applaudit, les approuve et félicite chaleureusement la façon dont on les représente... Mais à la Liturgie, dans la plupart des cas, l'homme se trouve là sans préparation, indigne. Comment pourrait-il la vivre, ressentir sa grandeur et sa puissance de salut, s'en pénétrer, l'adorer - Ce qui est terrestre recherche la terre... Cependant, il y a aussi des chrétiens pour qui la Liturgie est tout un autre monde... » C'est ainsi qu'était le Père jean lui-même. Il parlait de lui-même comme s'il s'agissait de quelqu'un d'autre et voilà pourquoi il ne cessait d'évoquer librement la douceur et la beauté de la Divine Liturgie. Voilà que nous est offert un spectacle divin. Spectacle d'un amour infini, de la sagesse, de la puissance de Dieu, de sa justice et de sa sainteté, et du renouvellement de l'homme corrompu par le péché - Spectacle qui nous donne d'éprouver une douceur infinie, spectacle de beauté, de lumière et de bonheur, car dans ce sacrement sont renfermés, pour tous ceux qui sont éveillés et pieux, la douceur, la beauté, la lumière, le bonheur, la sainteté ainsi que la Justice éternelle, la Toute-Puissance, la Bonté et la Sagesse de Dieu. Notre esprit ne peut se rassasier de cette douce et lumineuse contemplation et notre coeur, de l'exaltation, du bonheur nés de la méditation sur ce sacrement de l'Amour fou de Dieu à l'égard du genre humain en perdition ». Arrêtons-nous un instant sur ces élans d'admiration. A trois reprises, avec les mêmes mots, le Père jean nous parle de la liturgie dans le même état d'extase. Seul un coeur embrasé d'amour peut parler ainsi. Les êtres humains qui s'aiment répètent eux aussi les mêmes mots : Je t'aime, je t'aime , ou autres expressions semblables, sans qu'ils y trouvent de l'ennui. Ils sont heureux jusqu'à l'oubli d'eux-mêmes, jamais rassasiés, malgré le peu de variété des mots qu'ils emploient... « Pourtant, ajoute encore le Père jean, non pour lui, mais pour nous autres, nous abandonnons l'église et même si nous y allons, est-ce bien ces sentiments que nous éprouvons dans la célébration de la Liturgie - Il n'est pas rare d'entendre des chrétiens dire : «Les vigiles nocturnes me plaisent davantage que la Divine Liturgie : la pénombre de l'église, les veilleuses clignotantes, l'atmosphère mystérieuse, - tout cela est vraiment touchant ! mais la Divine Liturgie est trop austère pour nous ». Quelle pauvreté du sentiment religieux s'exprime à travers ces paroles ! quelle méconnaissance de ce qui constitue le sommet même de nos offices divins, de ce qu'il y a de plus sublime dans le christianisme sur cette terre».

Et le Père jean s'affligeait pour ces chrétiens : « quel bonheur, quelle béatitude pour notre nature d'homme de recevoir en elle l'humanité et la divinité de notre Christ-Dieu. Oh! que de bienfaits nous sont offerts par Dieu à travers la liturgie. Or, comment les chrétiens se comportent-ils avec elle - Pour la majorité, il n'y a que froideur, banalité, dissipation, indifférence. On communie rarement ou comme par obligation une fois l'an ! (On appelle d'ailleurs cela froidement : accomplir son devoir). Oh ! de combien de grâces ils se privent, de quels inestimables trésors divins, de quels dons vivifiants et immortels de Dieu, de quels secours surnaturels ! Voilà pourquoi il n'y a pas chez les chrétiens orthodoxes de vie véritable, de vie selon l'esprit du Christ. Voilà pourquoi, toutes les misères se multiplient et tous les malheurs ! ». Cependant le Père jean a bien remarqué aussi l'indigence spirituelle de ceux qui communient plus souvent. Il était navré particulièrement par l'indifférence de ceux qui s'approchent fréquemment du précieux calice, je veux dire les prêtres. Ne voulant pas les dénoncer directement, il s'exprimait généralement à leur sujet à mots couverts, sauf parfois cependant. « Il y a, écrivait-il, beaucoup de communiants qui reçoivent le Corps et le Sang du Christ sans aucune sincérité, sans l'élémentaire amour, mais uniquement de bouche et de ventre, avec froideur, d'un coeur attaché aux biens de la terre, à la nourriture, à la boisson, à l'argent, habités par l'orgueil, la méchanceté, l'envie, la paresse. Leur coeur est si loin de Celui qui est tout Amour, sainteté, perfection, sagesse, inexprimable bonté! Il faut que ces communiants rentrent plus profondément en eux-mêmes, réfléchissent sérieusement sur ce qu'est la prière, la sainte communion. La froideur du coeur envers Dieu vient du diable, lui, le Froid de l'Enfer. Allons ! Puisque nous sommes enfants de Dieu, aimons le Seigneur d'un anour tout ardent. « Accorde-nous cette grâce, Seigneur, car sans Toi nous ne pouvons rien dire » (Jean 15-5). Ah ! comme nous sommes peu de chose, réduits à rien, un souffle de vanité ! Et pourquoi donc - Sinon par manque d'attention, de zèle à l'égard de notre salut, et cela à cause de notre attachement à l'éphémère, au temporel, à cause d'une foi si faible en l'éternité. Nous sommes souvent si terrestres, paresseux et donc si indignes de la Divine Liturgie !Cette célébration céleste débordante d'un amour sans borne de Dieu envers les hommes! Nous nous en approchons avec nos distractions, nos passions, nos pensées mondaines, notre impureté, notre vanité, nos grimaces, nos calculs de la vie quotidienne auxquels notre âme est attachée. Fais bien attention, âme chrétienne, à ce qui est chanté au début de la célébration : « O Fils unique et Verbe de Dieu qui as bien voulu t'incarner pour notre rachat ». Entends-tu - Dieu s'est incarné pour toi, s'est fait homme pour toi. Réalises-tu - Sens-tu cela- Une telle considération t'élève-t-elle, t'arrache-t-elle à la terre - Vois comment le Royaume de Dieu descend vers les hommes d'une façon merveilleuse et terrible à la fois. «Bénis soit le Règne du Père, du Fils et du Saint-Esprit».

Merveille. Le Royaume de Dieu est parmi nous ! Oh ! joie, oh! admiration, oh! stupéfaction! « Et voici que nous nous ennuyons même dans l'Église. Nous y attendons les distractions des chants profanes, des concerts de théâtre, des amusements. Nous transformons l'Église en théâtre.., que Dieu nous pardonne! Mais de quoi cela témoigne-t-il sinon de notre incroyance - Aussi bien le Seigneur permet que de nos jours l'on détruise les églises, que l'on ferme les maisons de Dieu...

Avant ces crimes, nous avons fermé nos coeurs à Dieu ! Notre indifférence à l'égard de la liturgie est un signe effrayant de notre marche à la mort ». C'est bien ainsi que le Père Jean voyait les choses : « la liturgie, disait-il, est le meilleur critère de nos dispositions intérieures ». Sommes-nous des vivants ou des morts - Que se cache-t-il en nous - Quelles passions, quelles faiblesses de l'âme - Bref, quel est le fond de notre coeur- » Le Père Jean vivait de la Liturgie et en vivait totalement. Si elle est le sommet de notre vie chrétienne, c'est là qu'il se tenait. Voilà pourquoi, même si nous ne savions rien de ce célébrant extasié de l'Eucharistie, si nous n'avions pas vu ses miracles, ni entendu certains témoignages de sa vie d'ascète, si nous n'avions jamais pu contempler l'embrasement de sa joie et son influence étonnante sur les gens qui accouraient à lui, même alors, son admiration pour la divine Liturgie et le fait qu'il demeurait constamment en cet état divin, suffiraient à nous le faire considérer, sans aucun doute possible, comme un bienheureux, un parfait dans le Christ, un Saint.

Il voulait communiquer à tous son émerveillement ; il voulait que le monde entier brûlât du même feu ! Aussi bien ne se rassasiait-il pas de l'exalter partout et toujours. «O Liturgie sainte, divine, très sage, très parfaite, très purifiante, très salutaire, très sanctifiante Comment pourrais-je te louer dans de doux et joyeux entretiens avec mon peuple, ainsi que j'en ai un désir extrême. Car il y a vraiment de quoi parler avec joie et douceur si l'on veut exposer à fond ton contenu et ton sens caché. Ta force et ta puissance sont merveilleuses, ainsi que ton universalité. Tu es la louange, tu es la gloire de la Très Sainte Trinité, ruisselante de beauté, très sainte, consubstantielle et indivisible. Tu es la jonction du ciel et de la terre, des anges et des hommes. Tu fais descendre sur notre terre Dieu incarné et le Saint-Esprit, en communion avec le Père omniprésent. Tu transformes la terre en ciel, tu rends célestes les hommes de la terre. Tous ceux que tu as transfigurés sont une foule immense. Il en fut ainsi dans le passé, il en est ainsi aujourd'hui, il en sera ainsi dans les siècles à venir ». « Que la liturgie est grandiose, que son esprit est céleste ! Un lien d'amour entre Dieu et les hommes ! « Accorde-moi, Seigneur, un esprit céleste, un coeur pur, plein d'amour, qui ne soit prisonnier d'aucun désir, d'aucune passion d'ici-bas, car personne, personne ne peut, rempli de désirs et de passions terrestres, venir à Toi, s'approcher de Toi, ni te servir, Roi de gloire » (prière du prêtre pendant le chant des Chérubins). Accorde-nous Seigneur de comprendre que toute la terre avec ses trésors, ses beautés, ses douceurs n'est rien en comparaison d'un si grand Sacrement, comme le sont le Corps et le Sang du Seigneur, comme l'est le service divin de la Liturgie.

Et maintenant, alors que nous écrivons ou lisons ce qui constitue pour nous comme les miettes de ce festin spirituel, il nous est difficile de nous interrompre ! Tel un ouragan, l'esprit extasié du Père Jean nous entraîne malgré notre froideur, et l'enchantement qu'il suscite chez les meilleurs, comme chez tous qui participaient à sa prière et à ses célébrations, non seulement nous en avons entendu parler, mais l'avons vu de nos yeux. Les témoins sont encore vivants de par le monde entier !
Voilà pourquoi, à ton tour, ami de Dieu, n'hésite pas à te livrer à l'amour qui n'a pas de bornes. Enflamme-toi à ton tour, abandonne-toi à l'extase et monte vers les hauteurs avec cet Aigle céleste. « Prêtre, tu dois voler haut, voler loin ; tu dois être fort, plein de zèle » disait le Père Jean, jugeant d'après lui-même. « Désire au moins réchauffer ton coeur, désire arriver à ces sommets, applique-toi à cela ». Nous assistons parfois au vol, très lointain, d'oies sauvages, éprises de liberté, qui du nord glacé se rendent vers le midi chaud et fleuri. Elles volent rapidement, en forme de triangle bien ordonné. On dirait qu'elles nous appellent avec force à les suivre. Sur terre, leurs congénères domestiquées sont là, engraissées et regardant paresseusement vers le ciel. Et voilà qu'elles se sentent réveillées par ces cris qui leur sont familiers. Et soudain monte en elles un désir oublié de liberté, un désir de s'envoler là-bas... Elles se mettent à battre des ailes et à crier très fort, mais bientôt les voici qui redescendent car les forces leur manquent. Elles pourraient cependant voler ! Alors que les oies sauvages sont déjà loin et que l'on perçoit à peine leurs cris d'appel et de victoire !

II - UN MOMENT DU PARADIS

En quoi consistent donc la substance, le contenu essentiel, le sens profond et cette force surnaturelle qui charment à ce point le Père jean - D'où lui vient un tel enthousiasme - quelle en est donc la source - De quoi veut-il donc parler « pour la paix et la joie du monde » - Car il veut, en effet, de toutes ses forces, parler aux hommes, et ces flots impétueux débordent de son âme. Il sentait très fort, en effet, non seulement le devoir, mais la nécessité de parler de la Liturgie, de la prêcher, d'en écrire. « Le prêtre, notait-il d'après sa propre expérience, par une inexprimable générosité du Christ-Dieu, est comblé d'un océan de grâces divines lorsqu'il communie aux Saints Dons du Corps et du Sang du Christ. Par lui, avec lui, tous doivent recevoir en abondance les grâces du Christ et il doit donc travailler largement à les déverser de plus en plus loin et non à les garder jalousement pour lui seul. A plus forte raison ne doit-il pas les profaner, soit par une vie indigne, soit par son silence. « Malheur à moi, dit saint Paul, si je n'annonce pas l'Évangile » (I, Cor. 9, 26). Il doit vivre dignement d'une telle faveur, l'accroître pour son salut et son bonheur, mais aussi pour celui des hommes et la gloire de la Trinité. Sinon, non seule ment il peut en être privé, mais encore sévèrement condamné. Comment donc le Père Jean considérait-il la divine Liturgie - Nous regardons communément la célébration de l'office divin comme une façon d'implorer Dieu pour recevoir de lui différentes faveurs, ou des consolations dans nos épreuves. Mais ce n'est pas ce que pensent les vrais hommes de prière, ni de la prière en général, ni surtout de la Sainte Liturgie. Le Père jean lui-même, ne raisonnait pas ainsi. « La célébration liturgique, écrivait-il, est un moment du ciel. Or, est-ce qu'au ciel on adresse encore à Dieu des demandes - Non certes, car on a trouvé le bonheur. On y adresse des actions de grâces et l'on chante la gloire ; si l'on y implore encore la miséricorde de Dieu, c'est seulement en notre faveur à nous, les pèlerins de cette terre et pour notre salut ». Telle était la pensée du Père jean. Il voyait la célébration liturgique comme un acte d'amour débordant de grâce et de gloire. « La prière est une action de grâce continuelle, disait-il. L'office divin est une rencontre avec Dieu et les Saints, une conversation avec eux, pure, pleine d'amour, que rien ne peut interrompre, une eucharistie et une louange divine proportionnées à nos forces et à nos moyens terrestres, le prélude de la Louange éternelle avec les anges et toute spirituelle dans un corps ressuscité et glorifié. La célébration est encore la glorification des saints, la grande école de toutes les vertus, la source des plus hautes grâces dans la prière et les sacrements, et comme une dissolution de soi en Dieu dans l'adoration. Merveilleuse école que la célébration liturgique de notre Sainte Église. Elle donne aux âmes chrétiennes un envol immense et sublime ». Chose bien compréhensible si l'on admet d'esprit et de coeur ce que Dieu a fait pour nous et en particulier qu'Il nous ait envoyé son Fils, le Sauveur du Monde. Si nous l'acceptons, le reconnaissons, tout notre comportement sera ainsi pénétré de cet esprit de glorification de la Sainte Trinité et de notre Sauveur. « Dans la divine Liturgie, voici que domine cette pensée que Dieu dans sa Trinité est le créateur du monde et sa providence, et que le Christ est notre Rédemption, notre Sauveur, le Consacré, le Roi, le Juge de tout le genre humain, celui que nous devons remercier, implorer, glorifier pour nos besoins, à qui nous devons confesser nos fautes, que nous devons supplier au nom du sacrifice non sanglant de son Corps et de son Sang qui nous sanctifie, nous fortifie, nous fait atteindre la vie éternelle. Bien sûr, nous pouvons connaître d'autres expériences spirituelles au cours de la prière, mais la plus importante, c'est l'action de grâces ». II est vrai qu'en d'autres textes le Père Jean nous parle aussi du caractère pénitentiel de la liturgie orthodoxe, et plus particulièrement dans le cycle quotidien des Vêpres et des Matines, mais l'esprit fondamental de la divine Liturgie proprement dite est avant tout la glorification de Dieu. « Les services de l'Église orthodoxe sont avant tout un hymne triomphal au Seigneur Dieu, notre Sauveur, vainqueur du péché et de la mort, dispensateur de sainteté, source de résurrection, de vie et d'immortalité. Chaque célébration est un triomphe de la grâce, la sanctification des hommes par l'action du Fils de Dieu incarné, à travers les sacrements qu'il a donnés à son Église orthodoxe. Mais le salut accompli par le Sauveur se renouvelle maintenant dans chaque liturgie. C'est pourquoi elle est en même temps et sacrifice de rédemption et sacrifice d'action de grâces, sacrifice de l'amour de Dieu envers les hommes et reconnaissance d'amour des hommes envers leur Sauveur... » Qu'est-ce donc que l'autel - sinon le Golgotha divin sur lequel l'Agneau de Dieu a été crucifié et est mort pour les péchés du monde. « Où suis-je, se demande à lui-même le Père jean - Au ciel. Et que vois-je devant moi - L'autel de Dieu. Où suis-je - N'est-ce pas sur le Golgotha! Je vois, en effet, devant moi le Fils de Dieu crucifié pour les péchés du monde. - Où suis-je - Ne serait-ce pas en Cénacle avec les apôtres de mon Sauveur - Je vois en effet devant moi la Sainte Cène j'entends ces mots d'amour infini pour le monde en perdition : « Prenez et mangez, ceci est mon Corps. Prenez et buvez-en tous, ceci est mon Sang » Je vois, je mange, je reçois mon divin Sauveur lui-même dans ces sacrements ». « Le sacrement de la Rédemption est hautement digne d'honneur, hautement mémorable, sacrement d'amour infini, condescendance sans bornes, sagesse inexprimable, puissance infinie ! Or, voilà quel sacrement se réalise pendant la Liturgie. Il n'est pas seulement remémoré, mais renouvelé chaque jour. Et chaque jour s'accomplit ainsi cet immense et terrifiant sacrement, celui du Corps livré et du Sang versé du Seigneur-Dieu. Ainsi pour nous, l'Agneau de Dieu est perpétuellement sacrifié, sanctifiant celui qui le reçoit ! Gloire à ton Amour, Seigneur » ! C'est ainsi que nous pouvons parfaitement comprendre cette expression si forte, mais vraie du Père Jean en plein accord d'ailleurs avec la foi de l'Église: « La Divine Liturgie est célébrée en vérité jusqu'à nos jours comme le sacrifice de notre Rédemption, non certes par l'officiant, mais par le Fils de Dieu lui-même, puisqu'il est le Prêtre Unique ». « La divine Liturgie est toute céleste, sainte, bienfaisante, toute puissante et universelle ! Par elle, l'Agneau de Dieu intercède pour tous les hommes, car l'unique médiateur entre Dieu et les Hommes, c'est Jésus-Christ, l'homme ». C'est par Lui qu'interviennent en notre faveur la Sainte Mère de Dieu et tous les Saints que nous invoquons avec reconnaissance et respect à plu sieurs reprises. D'ailleurs, lors du Chant des Chérubins, durant la prière secrète, Jésus n'est-il pas appelé « l'Archiprêtre ». Lui qui s'offre et en même temps est offert. Le prêtre, lui, n'est que son serviteur, ou comme l'ont dit en slavon, « son enfant ». Le Père Jean a vu cette intercession du Fils de Dieu pour le monde entier dans la prière du Pater qui est chantée après la consécration : « L'Homme-Dieu lui-même prie à ce moment pour nous le Père des Cieux ». Cette vérité merveilleuse, le Père Jean l'a perçue à travers les mots « notre » et « nous ». Le Christ s'unit alors aux hommes - ses frères qu'il a rachetés. Quelle profonde vision ! Ainsi donc voit-il avant tout dans la divine Liturgie le sacrifice de la Rédemption qui se répète sans cesse. Il nous le redit inlassablement et lui-même en vit intensément ! Mais il y voit aussi le sacrifice d'action de grâce et de louange de toute l'humanité : « L'immensité, la sainteté, la vivifiance, la portée illimitée du redoutable sacrifice liturgique se révèle déjà au moment de la Proscomidie, lorsque le prêtre prépare la matière de l'Eucharistie, le pain et le vin (c'est-à-dire l'Agneau toujours offert pour le péché du monde et les offrandes d'action de grâces pour tous les saints, en mémoire desquels on retire de petits morceaux de la Prosphora, que l'on place autour de celui réservé à l'Agneau). Le Sacrifice de la Croix est célébré aussi pour eux, les Saints, je veux dire en action de grâces pour leur rachat et leur perfection accomplie par le sacrifice du Calvaire. Ces saints ont été transportés dans le bonheur de l'Église du Ciel ». « Merveilleux sacrifice en vérité, saint et divin! Alors que nous, les prêtres, sommes si tournés vers les réalités chamelles, paresseux, pécheurs, impurs, passionnés pour les biens d'ici-bas voués à la corruption! » « La célébration liturgique est le sacrifice de notre louange envers notre Créateur, agréable à Dieu bien plus que tous les autres sacrifices. Mais aussi une célébration réciproque de Dieu envers les hommes et des hommes envers Dieu ; une réponse d'amour pleine de reconnaissance et de louange de l'homme à l'égard de l'Amour, de la Justice, de la Puissance, de la philanthropie de Dieu qui s'accomplit ainsi dans la divine Liturgie, puisque dans la personne du prêtre, c'est le Christ-Dieu, 1'» Archiprêtre «, qui célèbre, lui qui est éternellement le Grand Prêtre. «Cependant au cours de la Liturgie, le prêtre n'est pas seulement le serviteur, mais plus encore l'Ami de Dieu. II se tient devant Lui, tel un intercesseur pour le peuple, tel celui qui accomplit ce sacrifice céleste, pur et vivifiant où sont contenus tous les trésors de l'Amour divin envers l'humanité ». « Mais voici qui est encore plus grandiose et redoutable: son office est celui-là même des anges ! Il est médiateur entre Dieu et les hommes,et son ami très proche. Aussi bien est-il comme « Dieu pour les hommes », avec le pouvoir de pardonner et d'effacer les péchés - de célébrer pour eux les vivifiants et redoutables mystères, de s'y brûler et d'y brûler les autres ! que peut-on dire de plus grand au sujet du prêtre - Il est Dieu pour les hommes. C'est pourquoi il doit être à la hauteur d'un tel ministère, surtout par son amour - lui qui loue Dieu et le remercie au nom de tous les fidèles et avec tous ». Certes, le Père Jean parle relativement moins de la divine Liturgie comme sacrifice d'action de grâces et de louanges que comme imploration pour le rachat du monde. Mais si nous nous rappelons les moments d'extase du Père Jean qu'il ne savait traduire en paroles, il est tout à fait clair que lui-même vivait constamment dans la joie de la louange, dans l'exaltation de la reconnaissance, dans les émotions de la gratitude telles que nous les découvrons en grand nombre dans les parties principales de la liturgie et en particulier pendant le Canon eucharistique. En effet, depuis les mots « Comme un amour venant du monde, nous apportons nos sacrifices de louanges », jusqu'à la réponse « Accorde-nous Seigneur de chanter d'une seule bouche et d'un seul coeur, Ton nom digne d'honneur et de gloire, Père, Fils et Saint-Esprit », tout est débordant de louange et d'action de grâce. D'ailleurs le mot «Eucharistie » lui-même ne signifie rien d'autre que « Merci ». Dans les sentiments, les émotions intérieures du Père Jean, ce sont toujours ces accents de louange, de reconnaissance, d'action de grâces, d'exaltation passionnée pour Dieu qui l'emportent sur les intercessions, les supplications, les demandes de pardon. Et c'est bien ainsi que cela doit être pour un authentique célébrant de l'Eucharistie. La Liturgie est un merci à Dieu pour la rédemption, un sacrifice de louange à l'Amour du Rédempteur. C'est bien ainsi que tout est ramené à l'unité. Mais en même temps, il y a chez le Père Jean la dominante de sentiments de victoire et de joie, de béatitude et d'émerveillement qui, plus que tout, constitue le contenu fondamental de son âme pendant la Liturgie. Ces sentiments lui étaient plus chers que tout. Ils emplissaient son coeur. Dès ici-bas, c'était pour lui la vie céleste, un état semblable à celui des Anges qui vivent dans l'extase de la louange. C'est en vérité le Ciel sur la terre !

III - LES NOCES DE L'AGNEAU

Les émotions spirituelles du Père Jean se sont exprimées dans les diverses appellations qu'il donnait à la divine Liturgie : « Cène d'amour » ou encore « Festin de l'Amour de Dieu », « Noces de l'Agneau » . Une noce est ordinairement considérée comme le suprême bonheur sur la terre. Or, en effet, on peut comparer la divine Liturgie à l'union pré-céleste des âmes avec Dieu. Lorsque nous lisons les débordements de joie du Père Jean, nous nous émerveillons de ces hymnes constants à l'Amour. Le Père Jean y pénétrait tout entier, s'en remplissait, s'en rassasiait. Il réalisait en effet si clairement et en même temps, l'amour de Dieu envers les hommes, l'amour réciproque des hommes envers Dieu et leur mutuelle charité ! Or, qu'est-ce donc que cela, sinon ce festin d'Amour, ces Noces de l'Agneau - II ne s'agit plus d'intercession, de supplications, mais de l'exaltation de la communion de l'homme et de Dieu. Il ne s'agit même plus d'une action de grâce, mais de l'union extasiée de Dieu et des hommes. Nous pouvons dire d'ailleurs que c'est bien dans cette expérience d'amour que s'exprime le plus clairement l'esprit de l'Eucharistie, un esprit d'exaltation dans la reconnaissance et la louange. Le Père Jean vivait cela en un état de haute tension. Mais écoutons plutôt ce qu'il nous dit lui-même: « La divine Liturgie est une célébration grandiose, merveilleuse, divine réalisée sur cette terre, une célébration mystique en mémoire de l'Agneau de Dieu, à laquelle participent non seulement les officiants et les fidèles, mais les puissances angéliques, tous les saints qui vivent au Ciel. Nos défunts eux-mêmes en tirent profit ! Voilà pourquoi il faut célébrer la Liturgie avec une toute particulière attention, avec dignité, reconnaissance et amour envers notre Sauveur qui a institué et ordonné sur la terre un pareil service pour notre salut à tous». Chez le Père Jean, c'était son continuel état d'âme. « Je suis ému, écrit-il, à l'idée de l'unité de l'Église du Ciel avec celle de la terre. Ô liturgie merveilleuse, ô liturgie universelle, divine et divinisante ! O signe et manifestation de l'amour sans mesure de Dieu envers le monde pécheur ! Que signifie ce service divin- A quoi sert-il- Que veut dire « servir Dieu » - mais cela signifie nous conformer à son Image, participer à sa sainteté, à sa justice car Dieu est Amour et Bonté sans mesure. Servir Dieu, c'est donc le bonheur de tout homme ». Et le Père Jean pose alors lui-même la question : « En quoi consiste le secret, le fond de ce service divin communautaire - Il consiste en ceci que ceux qui célèbrent, aussi bien les prêtres que tous les autres officiants, s'élèvent toujours davantage jusqu'à la prière chrétienne idéale, « c’ est-à dire, pleine de ferveur, et s'étendant à tous les hommes, à tous ceux qui brûlèrent d'amour pour la Très Sainte-Trinité, la Mère de Dieu, les puissances angéliques et les Saints qui règnent au ciel avec le Christ». Ainsi, la divine Liturgie consiste en ce que l'on soit en communion sincère avec eux par la prière, et que tout homme aime l'image originelle de Dieu en l'homme. Cette seule pensée de la communion universelle dans l'unité de l'Amour consolait le Père Jean et le mettait dans cet état de joyeuse exaltation, ce qui est bien compréhensible ! L'amour est toujours ainsi il veut l'heureuse communion entre les hommes. « Quelle pensée heureuse et vivifiante pour notre coeur, lorsque nous réalisons que tous les croyants orthodoxes constituent un seul Royaume spirituel en Dieu, une seule Église de Dieu, un seul corps, un seul esprit, un cep de vigne aux grappes innombrables ; et qu'en tous Dieu règne par Jésus-Christ, en tous vit l'esprit de Dieu. Oh ! si seulement Dieu régnait en tous ! Quel spectacle ! Tous seraient heureux et comblés ! Il faut prier avec zèle pour que ceci se réalise surtout lors de la célébration liturgique ! Merveilleuse est la divine Liturgie de l'Église qui enveloppe en cela non seulement le monde d'ici-bas, mais le ciel ! » « Tous les croyants de l'univers, les pasteurs et les fidèles, et au ciel les bienheureux avec en tête la Sainte Mère de Dieu, constituent une seule Église, l'Unique demeure de Dieu, un seul corps dont la tête est le Seigneur Jésus-Christ lui-même et dont l'âme est le Saint-Esprit de Dieu ». Cette profonde et consolante vérité peut et doit avoir une influence tout à fait salutaire et bienfaisante sur l'esprit du croyant. « La conviction sincère que je suis, dit le Père Jean de lui-même, un membre de l'Église m'apparaît comme une grande consolation, un bienfait, qui me ravit dans les heures difficiles de l'existence. Qu'est-ce qui peut être plus précieux, plus important et plus glorieux- Rien vraiment ! ». Et c'est d'une façon particulièrement forte et excellente qu'il éprouvait cette union au Dieu Tout-Puissant pendant la Liturgie en général et l'Eucharistie en particulier. La foi sincère qu'il avait, la vue du Seigneur qui se livre à lui comme à tous, dans son Corps et son Sang, l'exaltait infiniment et le poussait à louer Dieu avec le monde entier, celui de la terre,celui du ciel. « Je suis confondu et ravi devant l'immensité du sacrifice du Corps et du Sang du Christ, devant sa nouveauté, sa sagesse, sa portée infinie, - devant l'amour sauveur qui l'anime, devant sa force rédemptrice, devant la puissance que je reçois de la grâce de Dieu, au moment de l'accomplissement de ces merveilles ! O Seigneur Jésus-Christ, tu es ici en vérité. Ici nous te voyons, ici nous te sentons ! Quel amour éclatant pour les pécheurs, quelle bénignité dans la Liturgie ! Quelle proximité de Dieu envers nous ! II est là sur l'autel chaque jour, offert merveilleusement avec toute sa divinité et toute son humanité, Il est porté dans les maisons des fidèles pour être consommé par les malades ! Oh ! Quelle magnifique communauté! Quel abaissement de la Divinité en notre humanité déchue, impuissante et pécheresse ; mais voici que le péché est détruit par le feu de la grâce, comme des déchets brûlés au feu ! Quel bonheur, quelle bénédiction que le ministère du prêtre capable d'attirer la divinité et l'humanité du Christ Dieu et de parvenir jusqu'à Lui ! ». Dans les paroles : « prenez et mangez, ceci est mon Corps livré pour vous » , « prenez et buvez, ceci est la coupe de mon Sang répandu pour la rémission des péchés de la multitude », se manifeste l'Amour abyssal de Dieu à l'égard de notre humanité ! Il y a de quoi méditer sans cesse quand on essaie d'approfondir la façon de faire de Dieu envers nous. Une crainte sacrée parcourt les membres, l'être tout entier de celui qui écoute sans préjugés et n'est pas enchaîné par la vie de la terre ou les passions humaines, lorsqu'avec l'oreille du coeur, il écoute les paroles qui sortent des lèvres du célébrant qui, tourné vers nous, vibre d'admiration. « O amour parfait, ô amour immense envers tous ! qu apportons -nous à notre tour en échange de cet amour de Dieu envers nous - ». En réponse à l'Amour, il faut donner l'Amour. Le Père Jean ne cesse de le répéter, surtout quand il s'adresse aux prêtres. Son journal, ses pensées sur l'office divin, sont remplis de telles invitations, car l'absence d'amour le bouleverse. « Le prêtre, tel Moïse en face de Dieu, doit être en un état d'abandon et de confiance totale en Dieu. Combien les fidèles doivent-ils donc l'honorer, l'apprécier, l'aimer et le défendre, mais le prêtre lui-même doit combien veiller sur lui et sur sa conduite », sérieusement,-en toute lucidité et conscience, avec une grande fermeté. « Moïse était le plus humble des hommes » (Nombres 12, 3). Le prêtre donc doit acquérir, avant tout, avec la grâce de Dieu, cette richesse spirituelle primordiale qu'est l'Amour évangélique. Il en a besoin à chaque instant, à chaque moment. Mais l'Amour lui est particulièrement indispensable lorsqu'il célèbre la Liturgie, rendez-vous d'amour de Dieu à l'égard du genre humain. Dans ce sacrement de l'Eucharistie, dans cette communion au Corps et au Sang du Christ, l'Amour se manifeste en toute sa plénitude puisque le Seigneur Jésus-Christ s'y livre entièrement pour notre salut et se donne lui-même en nourriture et en breuvage. « Durant la Liturgie, le prêtre doit donc être débordant d'Amour envers Dieu et envers les pécheurs sauvés et rachetés par le Sang du Christ. Il ne doit donc jamais y avoir en lui ni ombre de colère ou agressivité envers qui que ce soit, ni attachement passionnel à quoi que ce soit sur la terre, nourriture, vêtement, beauté… ». « Il doit plutôt s'élever, devenir un Saint. O prêtre, qu'il en soit ainsi ! Tu dois être très grand, jamais mesquin, terre à terre ! Un prêtre en tout conforme au Dieu d'amour et de paix, de charité, de patience, tel doit être le dispensateur des sacrements célestes et vivifiants, le serviteur des bienfaits de Dieu, de la tendresse de Dieu ». « Ô prêtre, demande constamment à Dieu un tel amour. Rejette les passions ennemies de l'amour, l'amour-propre, la recherche des plaisirs, les faiblesses de la chair, la paresse, le goût du luxe, les intérêts personnels, l'égocentrisme, la désinvolture, le favoritisme ». Cependant ce n'est pas uniquement le prêtre mais tous les fidèles qui doivent ainsi brûler d'amour envers Dieu et envers tous les hommes… « Avant et pendant la Liturgie, il faut avoir d'elle une compréhension claire et distincte, il faut avoir un coeur pur, rempli d'un amour sincère et humble à l'égard de tous, à l'égard de toutes les créatures, il faut nous garder à tout prix de toute ambition terrestre, de toute malveillance, colère, de tout égoïsme, de toute vaine gloire, mais hélas, en réalité, il n'en est pas ainsi, même chez ceux qui participent à la divine Liturgie ». « Au festin de l'Amour, nous voici en face de l'Amour Incarné lui-même. Or, chose effrayante, nous n'arrivons pas à Le manifester les uns à l'égard des autres ; nous ne nous en préoccupons même pas ! Pourtant l'amour ne nous envahira jamais sans notre zèle et nos efforts. Et qu'est-il donc - Sa substance est une ferveur venant de notre bienheureuse communion avec Dieu et, en Dieu, les uns avec les autres ». Voilà bien les Noces de l'Agneau, l'unanime concélébration, comme le dit le Père Jean, grâce à la connivence de chaque membre du Corps de Jésus-Christ. En d'autres textes, il parle même de mariage, de commun attelage... « Qu'est-ce que la Liturgie - La Cène de Dieu, les Noces de l'Agneau où en effet, l'Agneau de Dieu s'unit aux fidèles. Le prêtre est là comme Moïse, se tenant devant Dieu, conversant avec Lui comme un ami et accomplissant le redoutable mystère de la Réconciliation des hommes avec Dieu, offrant un sacrifice non sanglant, digne de l'Amour de Dieu pour ses propres péchés et pour ceux du peuple » (Hébreux, 9, 7). La Liturgie est la Table de l'Amour divin envers les hommes. Près de l'Agneau, tous sont là sur la patène, les vivants et les morts, les saints et les pécheurs, l'Église triomphante et celle du combat. La divine Liturgie est un continuel miracle de la puissance de Dieu, débordant de grâces. Elle est, pour ainsi dire, la perpétuelle immolation de l'Agneau de Dieu qui verse pour nous son sang très pur, le mémorial de ses souffrances qui nous sauvent, de sa mort, de sa résurrection, de son ascension et l'annonce de son Retour. « Une seule fois il s'est offert à son Père, mais il ne cesse d'être immolé pour sanctifier ceux qui participent à son immolation » (Tropaire). « Pour le monde entier, il s'offre sans cesse et sanctifie les communiants ». Oui, le sacrifice du Christ, l'Homme-Dieu, qui s'offre à son Père pour les pécheurs, perdure sans cesse et perdurera jusqu'à la fin du monde, afin que tous les fidèles puissent être sauvés et que les pécheurs non repentis, demeurent sans appel. « C'est tout particulièrement à l'église que se concrétise l'union des âmes des fidèles qui cherchent Dieu - leur Principe et leur Créateur, et cela surtout durant la divine Liturgie, lors de la Communion aux Saintes Espèces, dans une heureuse conversation avec Lui durant l'action de grâce et la louange ». C'est avec ces sentiments d'amour fervent, avec l'enthousiasme d'une union pleine de joie entre Dieu et les hommes, que le Père Jean célébrait la Liturgie. Sans la moindre hésitation il nous faut reconnaître que son âme était alors débordante de reconnaissance et de louange sous toutes ses formes pour le bonheur divin qui l'envahissait. La Liturgie était pour lui une union d'amour spirituel avec Dieu et les hommes, toute remplie de joie. On comprend bien alors, pourquoi il ne ressentait ensuite aucun désir d'union charnelle avec son épouse, avec qui il vécut toute sa vie comme avec une soeur. II s'était totalement livré à Dieu et trouvait en Dieu le monde entier. Sa pensée était tournée entièrement vers l'unique Corps du Christ, l'Église et la sainte union de ses membres, célestes et terrestres, triomphants ou encore dans la lutte, et la prière réciproque des uns et des autres. Il pensait souvent à cette communion d'amour, à l'intercession pour les vivants et pour les morts, au Sang de l'Agneau de Dieu, le Seigneur Jésus-Christ, versé pour tous les vivants et les morts et à la joie infinie née du sacrifice de la Croix, dans de grands sentiments d'amour et de remerciements. - « Ah ! que de trésors et d'actions merveilleuses nous découvre la Sainte Église ! L'office divin dans son ensemble, mais particulièrement la divine Liturgie n'est que l'expression de la foi des hommes face à Dieu, de leur dévotion, de leur reconnaissance, de leur crainte et de leur amour, de leur louange, de leurs besoins, de leurs supplications. Les offices de l'Église orthodoxe sont la louange suprême de Dieu créateur et providence du Sauveur et de ses actions merveilleuses pour notre bien et notre salut, une proclamation solennelle de notre merci pour tous ces bienfaits, du salut opéré par le Christ, de sa victoire sur le péché, la maladie et la mort. Aussi bien ne peut-on pas ne pas aimer la liturgie, comme il est impossible de ne pas s'aimer soi-même et tous les hommes. Comment ne pas aimer à se trouver dans le Royaume de l'Amour - ».

LE LEVIER DU MONDE

L'action de la Liturgie ne se limite pas cependant à celui qui y participe. Le christianisme, par son orientation profonde et sa Liturgie, est offert au monde entier, et le mot même "Liturgie" signifie en grec "le service du peuple". A travers elle se rétablit donc l'unité des hommes avec Dieu et les saints de l'autre monde, ainsi que l'unité entre les hommes. Cette pensée d'unité exaltait très particulièrement le Père Jean qui en parlait souvent : "L'archétype est venu vers l'image, le Créateur vers sa créature et la créature fait retour à son Créateur. Cette pensée - essence même de la foi chrétienne - pénètre tout le christianisme. A l'office divin, l'unité est vraiment la grande préoccupation ,et celle-ci se réalise à travers la réconciliation avec Dieu, la célébration des sacrements, la purification et la lumière qui sont accordées aux chrétiens, la montée dans la perfection en Jésus-Christ. La Liturgie de l'Eglise de Dieu, voilà sur la terre le salut du monde". "Toute notre espérance à nous, pécheurs, réside dans l'amour qui sauve, dans les mérites de Jésus-Christ, dans sa Croix, ainsi que dans les prières de la toute pure Mère de Dieu et de tous les saints", mais tout particulièrement dans le sacrement de la Communion. D'après sa propre expérience, le Père Jean affirme que, par les limites de ce sacrifice d'amour et de compassion à l'égard de tous les hommes, Dieu les unit tous en une communion fraternelle, joignant la terre avec le ciel. "Cette unification n'est certes pas visible à l'oeil ordinaire, mais elle est cependant si réelle, si proche, si efficace. Dans quelle communion se trouvent les citoyens du ciel et ceux de la terre, la Sainte Mère de Dieu et nous tous, chrétiens orthodoxes, lorsque s'accomplit la divine et céleste Liturgie! Mon Dieu, quelle unité pleine de vie et de joie!", "Voilà pourquoi, conseille le Père Jean, il faut être en communion d'amour pendant la liturgie et après sa célébration : c'est avec foi et crainte de Dieu, avec un amour envers Dieu et les uns envers les autres qu'il nous faut assister à la célébration. Approchons-nous ainsi de Dieu avec reconnaissance pour son amour envers nous- Nourrissons-nous les affamés- Abreuvons-nous ceux qui ont soif- Habillons-nous ceux qui sont nus- Visitons-nous les malades et les prisonniers - Car en eux, lorsqu'ils sont ses membres, c'est le Christ lui-même qui réclame notre aide, lui, notre Sauveur, qui s'est offert pour nous en sacrifice. Voilà la meilleure façon de vivre après la Liturgie et, surtout, après la Communion. C'est alors que l'homme est particulièrement disposé à l'amour, capable d'union avec tous. Les hommes oublient une grande vérité : l'union d'amour dépend de la pureté de l'âme". Le Père Jean le savait parfaitement. Nous le lui avons déjà entendu dire et ce n'est certes pas la première fois qu'il l'écrit, par exemple aux prêtres "O prêtre, comme tu dois être pur, saint, pour pouvoir aimer ton prochain et tes enfants!" L'expérience nous le montre, mais on peut le comprendre facilement : l'amour vient de Dieu. L'union à Dieu est un état nécessaire et l'idéal à réaliser, tandis que le péché nous sépare, nous éloigne de Dieu et corrompt notre nature humaine. Au contraire, la libération de nos péchés nous rétablit dans notre être véritable. La Liturgie est justement célébrée pour le pardon des péchés et pour une union plus étroite avec Dieu, une union d'amour sur le modèle de la très Sainte Trinité qui est unité. Mais là où il n'y a pas d'amour, la sainte communion ne porte absolument pas son fruit et tout est inutile. L'Eglise n'est plus l'Eglise. Nous croyons en effet que l'Eglise est la société des croyants dans le Seigneur, réunis en un seul corps grâce à la Tête qui est le Christ, et vivifiée par le Saint-Esprit de Dieu. De sorte que nous, membres de ce corps qu'est l'Eglise, nous devons prendre soin de nous aimer les uns les autres, comme nous-mêmes nous aimons notre propre âme et notre corps. Nous devons éloigner de nos coeurs l'amour-propre, l'égoïsme, l'envie, l'hostilité, la colère, la haine, la rancune, la débauche, la paresse. Nous devons nous pardonner les uns les autres, comme nous le demandons aux autres pour nous-mêmes; nous devons condescendre aux faiblesses des autres, les aider avec zèle et bonne volonté. L'amour est le signe le plus authentique des disciples du Christ, des fils de l'Eglise du Christ. Sans amour, il n'y a plus d'Eglise. Et s'il en est ainsi pour l'Eglise en général, ceci concerne chacun de nous lorsque nous célébrons quelque office divin et, à plus forte raison, la Divine Liturgie. Même l'odeur de l'église tout imprégnée d'encens nous rappelle constamment que ces temples que sont nos corps et nos âmes doivent, eux aussi, être tout embaumés par la grâce du Saint-Esprit et par les vertus : pureté, simplicité, humilité, modération, amour, sincérité, douceur du coeur, bonne volonté, compassion et condescendance, patience et franchise, amour de la vérité, obéissance et charité. Si telle est l'action du parfum de l'encens, combien plus forte sera celle de la Sainte-Communion! "De l'office divin célébré en notre église, dit précisément le Père Jean, nous retirons la conscience et la force de l'union de tous les hommes et nous apprenons à nous aimer les uns les autres, à nous encourager les uns les autres à l'accomplissement des bonnes oeuvres". "Dans l'office divin, surtout dans la Liturgie de notre Eglise orthodoxe, la chorale et le peuple sont considérés comme une seule voix, un seul coeur et une seule âme". "Accorde-nous de glorifier ton Nom très saint d'une seule voix et d'un seul coeur" - nous fait dire l'Eglise après la consécration des Saintes Espèces. C'est bien cette union-là qu'il nous faut avoir constamment pendant l'office divin, c'est à elle qu'il faut tendre. Mais, "dans la mesure où vous vous éloignerez de l'église, des offices divins, de ce royaume de Dieu, vous serez envahis par les passions terrestres, toutes sortes de mauvaises habitude et le prince de ce monde lui-même, avec ses forces ténébreuses, le filet de la mort s'étendra au-dessus de vous". Cependant l'influence de la Liturgie ne concerne pas uniquement ceux qui y participent, mais encore les absents et même le monde entier. Le Père Jean parle de ceci dans ses écrits avec force et fréquemment, car les fidèles ne le remarquent pas ou, peut-être même, l'ignorent. Pour lui, c'est l'évidence même. "Habituellement, nous ne pensons qu'à nous-mêmes dans nos prières, non seulement à la maison, mais même à l'église. Or l'Eglise a été fondée pour le salut de tous les hommes et la Liturgie est célébrée pour le monde entier". "Le bénéfice de la Liturgie célébrée avec une intention droite est illimité, non seulement pour l'Eglise orthodoxe, mais pour l'univers entier, pour tous les hommes de toutes croyances, de toutes confessions, car le Sacrifice non-sanglant et la prière sont présentés au Seigneur mais aussi à l'univers et lui dispensent son amour. Il lui donne l'abondance des fruits de la terre, la paix dans la vie sociale, le succès dans les sciences, les arts, le travail de la terre, l'économie domestique. Son amour s'étend non seulement aux hommes, mais aux bêtes qui sont à leur service. O merveilleuse Liturgie, universelle Liturgie, divine et divinisante! O signe et manifestation de l'Amour sans limites à l'égard du monde pécheur!" Voilà d'ailleurs le rôle principal du prêtre. "Le prêtre est porteur de l'Eglise du Saint-Esprit, de l'Esprit d'amour et de sainteté. Il doit donc compatir au monde entier et l'univers doit lui être toujours présent- tous les hommes, quels que soient leur rang, leur condition. Il prie pour le bonheur du monde entier, de toutes les églises et leur union, pour la salubrité de l'air, l'abondance des fruits de la terre, pour l'éloignement des inondations, des incendies, des tremblements de terre, de la guerre et autres calamités. Il doit être au service du bien commun et ne doit pas uniquement penser à lui, à son profit, à ses passions, à ce qui le concerne personnellement. De ce point de vue-là, ses désirs doivent être les plus limités. Le prêtre est tout à tous. Le prêtre est le porteur de l'Esprit de toute l'Eglise, donc du salut de tous et de leur unité". C'est précisément ainsi que se considérait le Père Jean "Je me tiens devant le trône du Dieu Tout-puissant qui, par ma prière et mon ministère, m'a confié la foi du tsar et de tous les royaumes de la terre, de l'empire russe, de toute l'Eglise, toute race, tout pays, de tous ceux qui vivent par la foi. Je me tiens devant le trône du Tout-puissant, à l'ordre de qui sont soumis le ciel et la terre, tous les éléments, l'eau, l'air, le feu, l'univers entier, terre et mer. Il m'a donné le droit d'intercéder auprès de Lui pour la salubrité de l'air, la protection contre les malheurs qui peuvent fondre sur les hommes à cause de leurs péchés. Je me tiens ainsi à la source même de la vie des créatures, à l'origine même de toute grâce de purification et de salut. Je me tiens devant la Puissance-même la plus inaccessible, la plus heureuse, la plus sage et invincible, en présence de laquelle s'incline tout ce qui vit sur terre, au ciel et dans les enfers. Combien élevé est mon ministère, et moi je ne suis qu'un pécheur, pauvre et faible. Seigneur, rends-moi digne toi-même d'une telle mission!». « Le monde entier peut bénéficier de la part du Seigneur de semblables bienfaits, innombrables, grâce à la puissance d'amour illimitée du Sacrifice non sanglant". "C'est lui qui enveloppe le monde entier, pour mener tous les peuples, toutes les langues et les nations vers Dieu, car l'Agneau embrasse l'univers. Il est l'Agneau qui porte le péché du monde et conduit toutes les nations à la connaissance de Dieu. Amen! Amen! La Divine Liturgie est le sacrifice universel et céleste accompli par Jésus-Christ lui-même à travers le ministère des évêques, des prêtres qui célèbrent. C'est le sacrifice de l'amour de Dieu à l'égard du genre humain qui périrait dans son péché. Un sacrifice de repentir des hommes et de justice de Dieu grâce à la sainteté, les souffrances et la mort du Fils de Dieu pour les hommes. Voilà pourquoi le célébrant doit être tout entier habité par le Christ. C'est alors seulement que son ministère sera agréable à Dieu et apportera au monde un immense profit". "La Liturgie est un contrepoids et un arrêt, au profit des fidèles, de la corruption qui règne dans le monde".

Achevons ces pensées par les paroles remarquables de ce grand serviteur de la Liturgie "Si le monde n'avait pas le Corps très pur et le Sang du Seigneur, il n'aurait pas le Trésor souverain, le Trésor de la vie véritable". "Ils n'ont pas la vie en eux ... Il n'y aurait que l'apparence de la vie mais non la lumineuse et éternelle vie, l'ensemble de tous les biens véritables; c'est ce levain vivifiant que la femme de la parabole qui représente l'Eglise prend et met dans trois mesures de farine jusqu'à ce que le tout soit fermenté (Mt. 13, 32). Oui, c'est bien le levain de la vie véritable, céleste et sainte, donné à l'humanité". Que peut-on dire de plus- Seulement ceci "la force de l'Eucharistie s'étend même à l'autre monde. Le service de la Liturgie sur la terre est une chose merveilleuse, divine, sans limites, puisque nos défunts et tous les défunts peuvent en profiter. Combien émouvante, touchante est la prière de l'Eglise à l'Agneau de Dieu pour tous les défunts. Elle intercède devant Dieu pour leur repos, là-même où est voilée la lumière de la Face de Dieu. Frères orthodoxes, lorsque vous priez pendant la Liturgie et lorsque, surtout, vous réservez quelques morceaux consacrés en l'honneur des saints ou pour le salut et le repos des âmes, c'est alors que vous entrez en communion avec le Seigneur, la Mère de Dieu, le précurseur Jean-Baptiste, les prophètes, les apôtres, les martyrs, les ascètes, tous les saints. O noblesse du chrétien, o bonheur et béatitude! Tandis que tu célèbres la Liturgie et que tu retires les parcelles consacrées, souviens-toi, prêtre, du lien étroit qui nous unit aux saints et aux défunts qui sont morts dans le Christ. Aime-les comme tous les membres du Corps du Christ, comme ton propre corps".

Le Père Jean voyait la raison de tout cela dans la puissance du Sacrifice du Rédempteur offert pour l'univers entier, comme le dit l'apôtre : "Tout genou fléchit devant le Seigneur tout-puissant, au ciel, sur terre et aux enfers". Mais, du monde des défunts, revenons aux réalités de la terre, car elles ont également leur place dans la Liturgie. Nous avons d'ailleurs déjà signalé en passant quelques-uns de ses bienfaits : le don de la vie à chaque créature et à l'univers, le succès dans les affaires, l'éloignement des tentations diaboliques et des pièges venant des hommes, la santé du bétail et des animaux domestiques qui vivent avec l'homme et pour l'homme. Le monde paysan le sait bien, qui possède vaches et chevaux. En général, grâce à la Liturgie, tout, d'après le Père Jean, peut être atteint par la grâce de Dieu, à travers la prière commune et personnelle que l'on fait à l'église. "La prière faite d'un seul et même coeur peut envelopper toutes choses, toutes les créatures. Voilà pourquoi, autant que possible et le plus souvent possible, il faut encourager tous les fidèles à prier d'un seul coeur et à demander à Dieu de nous accorder tel ou tel bienfait, mais le principe même de notre confiance se trouve dans le seul Intercesseur, le Christ". "Lorsqu'on célèbre dignement et d'un coeur pur la divine Liturgie, dit encore le Père Jean, on peut et on doit espérer fortement obtenir de Dieu, grâce à elle, le pardon des péchés, la santé, le salut, la sanctification et l'amour même de Dieu, mais aussi le pardon des péchés et le repos éternel avec les saints de tous ceux qui sont morts dans la foi orthodoxe, et l'espérance de la vie éternelle. La Liturgie est toute-puissante, toute agissante. Réalisez en effet quel sacrifice on y célèbre! Celui du Fils unique de Dieu lui-même. Si Dieu n'a pas hésité à nous donner son Fils unique, comment ne nous donnerait-il pas tout avec lui! (Rom. 8, 1). L'apôtre ne peut comprendre comment il pourrait en être autrement. Alors prêtres, rappelez-vous quel moyen prodigieux Dieu a mis entre vos mains pour implorer la miséricorde de Dieu pour tous les hommes pour l'univers entier! Priez seulement pour que vous soit accordé de célébrer ce merveilleux Sacrifice avec toute la dignité qui convient!".

LE SECRET DE TOUTE SAGESSE

A quel degré de foi, de ferveur, de confiance nous convie le grand serviteur de la Liturgie! Pour nous qui sommes si peu habitués à ces sentiments d'exaltation et de certitude de la puissance de Dieu, mais plutôt à de banales considérations tout-à-fait terre-à-terre vis-à-vis du sacrement de l'Eucharistie, qui est vraiment immense, très élevé et tout-puissant, les considérations du Père Jean nous semblent difficilement abordables et quasi inaccessibles. Il est en effet devenu naturel à l'homme terrestre de douter, ou du moins de juger incompréhensibles les réalités surnaturelles. Or, nous allons, dans ce chapitre, découvrir la réponse à nos difficultés.

Certes le Père Jean lui-même connaissait par expérience nos difficultés. Et comment n'aurait-il pas pu les connaître- Celui-là seul connaît tous les aspects d'un être, qui le fréquente le plus. Or le Père Jean vivait vraiment de la Liturgie. C'est la raison pour laquelle il connaissait intimement tout ce qui la concernait, et bien plus profondément que d'autres. Les célébrants savent par expérience qu'il leur arrive d'avoir à réfléchir et à rechercher des explications solides aux interrogations de l'intelligence qui, souvent, n'effleurent même pas la plupart des fidèles. Pourtant, il leur faut à tout prix trouver une réponse vraie et solide, car elle nous sera trop précieuse. "Chez les personnes, dit le Père Jean, qui essayent de mener une vraie vie spirituelle, il arrive qu'elles mènent un combat dur, acharné contre les pensées. Chaque instant de leur vie est une lutte. A tout moment il leur faut traquer les pensées qui pénètrent dans l'âme par la porte du Malin. Il leur faut trouver des réponses aux tentations, afin de pouvoir célébrer l'action la plus sublime non seulement en paix, mais avec une foi audacieuse et une ferme espérance".

Le Père Jean connaissait le doute, mais savait y faire face, de telle sorte que son expérience revêt pour nous une importance fondamentale, source de consolation à cause de son autorité. "Souvent, écrit-il, notre chair aveugle et perfide, et le prince de ce monde qui vit en elle, nous murmurent que, dans le Sacrement, il n'y a que du pain et du vin et non le Corps et le Sang du Christ, et, comme de faux témoins, ils nous renvoient aux données de nos sens, à la vue, au goût, au toucher. La fumée de l'enfer s'efforce d'obscurcir et d'étouffer notre âme, alors même que se trouve devant nous le Saint-Sacrement, alors que nous communions ou que nous recevons quelque sacrement. Plus important est l'office liturgique et plus l'ennemi nous attaque avec fureur. Même devant le saint Calice, le Malin te crée des embûches et te trouble par mille pensées. Même si tu ne veux pas, il te faudra combattre. Tu voudrais te reposer longtemps, longtemps près du Seigneur, mais voici que les ennemis t'en empêchent".

La première cause de nos doutes, le Père Jean la voit dans les mensonges diaboliques; la seconde, en notre âme toute charnelle et pécheresse, qui a perdu la facilité de contempler sereinement les choses spirituelles à cause de ses passions. Aussi longtemps "que les passions continueront à agir en nous, que le vieil homme sera là et ne sera pas encore mis à mort, il nous faudra peiner à cause de mille tentations, à cause de la lutte du vieil homme et de l'homme nouveau. Ceci, bien sûr, concerne toutes les réalités de la foi. "Si notre foi orthodoxe, ses sacrements (et les chrétiens, quelquefois, ne peuvent l'admettre) sont objet de scandale, c'est que les intelligences et les coeurs des hommes sont impurs et remplis de passions. Ils ne peuvent supporter la pureté et la lumière de la foi, tout comme des yeux malades ne supportent pas la lumière du soleil. Ce trésor céleste ne peut être accepté que par ceux qui éloignent leur intelligence et leurs sens des passions de la terre".

Une telle déformation morale de notre nature apparaît au Père Jean comme une monstruosité "On trouve parfois chez nous des coeurs laids. Pendant la célébration des sacrements, ils respirent l'absence de foi, à cause de leur insensibilité, leur faiblesse morale. Alors, ou bien ils rient, ou bien, ne comprenant pas, sont gagnés par une peur animale".
La troisième cause de nos doutes, le Père Jean la voit dans la folle tentation de l'intelligence naturelle, si contraire aux commandements du Seigneur, si illogique, de vouloir comprendre par des raisonnements terrestres les mystères du Ciel, expliquer les miracles par la raison, essayer de saisir le Divin. En suivant ce raisonnement, le Père Jean répond aux incompréhensions et aux doutes, utilisant parfois la méthode comparative. Tout d'abord, que faut-il faire- Avec sagesse et logique, en vrai philosophe, il arrête les tentations irréfléchies de l'intelligence qui n'a ni le droit, ni la possibilité de saisir l'Insaisissable. Le mystère est mystère... "Sois en adoration profonde de tout ton être devant les Sacrements. Dis-toi, à propos de chacun d'eux, surtout si tu célèbres et communies : ceci est un mystère divin. Je ne suis qu'un indigne servant ou officiant. Notre orgueilleuse raison veut expliquer le Mystère de Dieu. Si elle ne peut l'expliquer, elle le rejette comme ne pouvant s'adapter à sa mesure humaine. En ce qui concerne particulièrement l'Eucharistie, la raison saisit toujours et pleinement qu'il s'agit du miracle des miracles, plus grand même que celui de la création du monde. Voilà pourquoi notre intelligence doit s'humilier et accepter avec foi. Récuser un sacrement est une erreur certes, mais aussi une folie, car le miracle est au-dessus de la loi naturelle, au-dessus de l'intelligence. La Liturgie est un très grand miracle et un continuel miracle. C'est avec joie et crainte de Dieu qu'il faut assister à sa célébration. Car ce ne sont pas seulement nos intelligences humaines qui sont stupéfaites, mais même les intelligences angéliques : la transsubstantiation du pain et du vin dans le Corps et le Sang du Seigneur lui-même et la communion des fidèles! Et toi, pour qui s'accomplit ce sacrement, tu restes si souvent indifférent! "Prenez et mangez-en tous, prenez et buvez-en tous". Qui comprendra la grandeur du don qui nous est fait par notre Seigneur Jésus-Christ dans le sacrement de l'Eucharistie et dans la communion! Personne, pas même les intelligences angéliques ne peut comprendre en toute plénitude ce don, qui est infini et insaisissable comme Dieu lui-même, comme sa Bonté, sa Sagesse, sa Toute-puissance. Le miracle est un miracle, je veux dire un fait que l'intelligence ne peut saisir".

Cependant, pourquoi faut-il l'admettre comme un fait véritable et excluant tout doute ?

Pour répondre à cette question le Père Jean apporte de nombreuses raisons. En qualité de croyant profond et très convaincu, il nous renvoie tout d'abord à la Toute-puissance du Seigneur Jésus-Christ, surtout après sa glorification dans la Résurrection et l'Ascension. Ce qu'il a bien voulu promettre, Il est bien capable de l'accomplir. En Dieu la parole est action. "Tout pouvoir m'a été donné au ciel et sur la terre , a-t-il dit avant son ascension à ses disciples et, par eux, à la terre entière (Mt. 27, 18)". "Ensuite, dit le Père Jean, par cette puissance le Seigneur établit les pasteurs de l'Eglise pour accomplir le Sacrement, transformer le pain et le vin en son Corps et son Sang par l'action du Saint-Esprit". Le Père Jean a souvent dit que la Liturgie est célébrée par le Sauveur lui-même, par l'intermédiaire du prêtre ou encore par le Saint-Esprit en nous tous. Dieu peut tout et, si le croyant ne met aucun obstacle à l'acte divin, comme il est dit, ainsi sera-t-il fait. "Pour le croyant, il n'y a rien d'impossible". "Dieu dit, et cela fut, l'univers et tout ce qu'il renferme". "Aucune parole de Dieu ne peut être vaine" dit l'archange à la Vierge Marie. Et il en est ainsi en vérité. Le Père Jean s'aide de ce merveilleux exemple pour faciliter et fortifier la compréhension du mystère de la Transsubstantiation : "Le Corps et le Sang du Christ sont là par l'Esprit Saint à partir du pain et du vin, comme dès le sein de la Vierge Très pure, à partir de sa chair.

En vérité l'incarnation de Dieu dans le sein de la Vierge non seulement n'est pas un miracle moindre que celui de la Transsubstantiation des Saints Dons, mais encore il est plus élevé. Aussi bien celui qui admet comme une vérité hors de doute l'incarnation du Verbe en Marie, aura encore plus de facilité à admettre le mystère eucharistique. Ici et là, il y a miracle, l'un et l'autre étant hors de toute compréhension. Ici et là, la divinité entre dans la matière; ici et là, le Saint-Esprit agit dans sa toute-puissance. Et qu'y a-t-il d'étonnant si Dieu lui-même, le Verbe, créateur de toutes les choses visibles et invisibles, transforme, transsubstantie le pain et le vin dans le Corps et le Sang du Christ- Dans le pain et le vin s'incarne le Fils de Dieu, non certes une nouvelle fois, puisqu'il s'est déjà incarné. Il s'incarne avec le même Corps dont il s'est revêtu pour venir parmi nous. Il s'incarne à l'image de la multiplication des pains, qu'il a lui-même accomplie autrefois et grâce à laquelle il a nourri des milliers d'hommes. Puisqu'il est Dieu, tout lui est possible; alors, tous les doutes qui nous assaillent doivent être considérés comme des tentations du diable dirigées contre notre foi, comme une sorte d'insurrection contre la vérité". "Lorsque le diable te troublera par ce manque de foi au moment de la célébration, te soufflant qu'il est impossible que le pain et le vin deviennent Corps et Sang du Christ, dis lui alors: oui, pour moi et pour toi ceci est impossible, mais non pour Dieu, à qui rien n'est impossible". Chez Dieu, la pensée elle-même est déjà action, la parole est action. "Il dit, et cela fut" (Ps. 32, 4). Il parle, et sa parole s'exécute. C'est simple et clair. Si, par hasard, les jambes voulaient être en haut du corps et enseigner, ceci serait vraiment étrange... N'écoutons donc pas, n'acceptons pas les calomnies de l'Ennemi et pensons plutôt ainsi : "A toi, Seigneur, tout est possible".

Pour le Père Jean cette toute-puissance miraculeuse de Dieu est évidente en toutes les créatures, même dans les choses matérielles :
"Tu crées le corps de l'homme, des animaux, des poissons, des oiseaux, des reptiles, de toutes les créatures. Le Saint-Esprit nous forme dans le sein maternel. N'est-ce pas ainsi un miracle continuel- Et, s'il en est ainsi, si toi seul est omniprésent et tout-puissant, ne pouvais-tu pas te créer un corps- Quel est le sculpteur qui, travaillant pour les autres, ne pourrait aussi travailler pour lui-même- Bien plus, tu transformes la matière inerte en substance vivante, comme par exemple le bâton de Moïse changé en serpent".

Pour nous aider à comprendre les sacrements de la foi, le Père Jean se réfère à la foule des mystères qui existent dans le domaine de la nature et que nous ne rejetons pas, bien au contraire. "Il y a, dit-il, une foule de mystères dans la nature, que notre raison ne peut saisir, même dans les choses. Pourquoi aller chercher au loin les traces de ta bonté, de ta sagesse, de ta toute-puissance, Seigneur- Ces traces sont tellement visibles, évidentes pour moi. Je suis moi-même un miracle. Je suis un univers entier à une échelle réduite. Et tout est caché à mes yeux du mystère de mon être. Le mystère du corps et du sang existe dans la réalité qui m'environne, même si je ne puis le comprendre. Aussi bien, si moi-même suis un mystère, moi, l'oeuvre de mon Créateur, à combien plus forte raison mon Créateur lui-même. Si ce qui est terrestre nous dépasse, ne te mets donc pas en peine pour les réalités du Ciel. Si ce qui est d'ordre naturel t'échappe, ne te pose pas la question du comment, du "par quel moyen", au sujet de l'ordre surnaturel. Ce serait insensé. Lorsqu'il s'agit des mystères divins, ne te demande pas comment cela est-il possible- Puisque tu ignores comment Dieu a créé l'univers, à plus forte raison tu ne peux, et ne dois, savoir comment Dieu agit dans le mystère. Le mystère de Dieu restera toujours pour toi un mystère, parce que tu n'es qu'un homme et que tu ne peux tout savoir de ce qui est infini et connu seulement du Dieu Tout-puissant. Tu n'es que l'oeuvre de ses mains, une créature infime. Ainsi ne peux-tu comprendre comment le Sauveur s'incorpore dans les vivifiants sacrements. C'est un mystère, tout comme la présence en ton corps d'une âme immatérielle".

Cependant, lorsque le Père Jean, avec son esprit de théologien, veut nous convaincre et prouver l'existence incontestable de ce miracle des miracles qu'est la Transsubstantiation, il se réfère à cette certitude que Dieu est Celui qui est. « S'il est partout présent, il remplit tout l'univers, comment donc ne pourrait-il point se trouver dans les sacrements ? Par son absolue simplicité, il se trouve nécessairement tout entier en tous lieux et, s'il est ainsi en tous lieux et remplit toutes choses ("n'est- ce point lui qui emplit et le ciel et la terre" ? Jér. 23, 22) comment serait-il impossible qu'il soit réellement présent dans l'Eucharistie- Notre intelligence ne peut comprendre comment notre Seigneur Jésus-Christ peut s'unir au pain et au vin et les transformer en son Corps et son Sang, bien qu'il puisse y en avoir une certaine explication, mais cependant bien partielle, par le fait que le tout-puissant Esprit créateur de Dieu est partout et peut "faire exister ce qui n'est pas" (Rom. 4, 17). A plus forte raison peut-il faire autre chose de ce qui existe déjà. Aussi bien, pour communier avec une foi solide au Sacrement et vaincre tous les obstacles dressés par l'Ennemi et ses calomnies, réalise que ce que tu reçois à l'autel est Celui qui est, le Seul Existant. Avec une telle disposition d'esprit et du coeur, lorsque tu recevras l'Eucharistie, tu seras dans la paix et la joie, et te sentiras vivifié. Tu connaîtras par le dedans que le Seigneur demeure en toi, existe en toi, et que tu es en Lui. Ceci est le fruit de l'expérience".

Le Père Jean accordait, d'autre part, une très grande force, une importance toute-puissante aux paroles elles-mêmes prononcées pendant la célébration du Sacrement, car c'est "par la parole que tout ce qui existe a été créé". « Pouvons nous douter de l'existence de ce qui nous est confirmé par l'expérience personnelle- En quoi consiste, en effet, le secret de l'existence de toutes les créatures- Dans la parole du Créateur "Il dit et cela fut", dans la parole, et seulement en elle, n'est-ce pas le même Seigneur qui agit encore par le ministère des prêtres- Le Seigneur est là, avec nous, pour l'accomplissement de toutes choses. C'est lui qui offre le sacrifice et c'est lui qui est sacrifié. Le prêtre ne fait que prononcer les paroles, étendre la main, et le Seigneur accomplit toutes choses ».

Et pourquoi donc y a-t-il une telle force dans les paroles- « La Parole de Dieu, écrit le Père Jean, est Dieu lui-même. C'est pourquoi il faut lui accorder toute notre foi. La parole de Dieu est agissante. Toute parole de la Sainte Ecriture, de la Divine Liturgie, des matines et des vêpres, toute parole de nos saintes prières possède en elle une force qui lui correspond et réside en elle; tout comme dans l'image de la Sainte et vivifiante croix, une grâce secrète est enfermée en toute parole de l'Eglise, en vertu de la parole de Dieu incarné qui rassemble l'Eglise et qui en est la tête ». Voilà pourquoi le Père Jean donne ce conseil très simple et très sage à qui est dans le doute : "Lorsque, au cours de la prière vocale, le diable attaque ta prière par des pensées perfides, dis-toi bien ceci : la personne du Sauveur se trouve là, dans chaque mot, dans chaque syllabe. Ne fais aucune attention aux manoeuvres de l'Ennemi, à ses attaques durant la célébration de la prière, mais attache-toi fermement par le coeur à chacun des mots que tu prononces, avec la certitude qu'en eux réside l'Esprit de sainteté".

"Les exemples d'une telle présence dans les paroles saintes sont innombrables, depuis la création du monde jusqu'aux multiples miracles accomplis par la suite : comment, en un instant, tout a été créé par la puissante parole de Dieu; comment les eaux ont été changées en sang par la parole de Moïse, et la terre en moustiques, et la verge en serpent, la lumière en ténèbres. Viens et vois : voilà des faits qui se sont produits et ces mêmes miracles se sont répétés jusqu'à nos jours, et les fruits visibles de l'action des divins sacrements en sont les témoins véridiques. Nous en parlerons un peu plus loin, nous contentant ici de le signaler avec toute la force de notre foi".

Le Père Jean avait expérimenté bien des fois, en effet, la vérité et la force du Sacrement du Corps et du Sang du Seigneur, et cette expérience était pour lui plus convaincante que tous les raisonnements, ainsi qu'on peut le comprendre, puisque l'expérience est la preuve évidente, et combien plus convaincante que la science. A la base de toute connaissance authentique on trouve avant tout l'évidence directe, et l'on n'a plus besoin de raisonner quand la vérité se justifie par elle-même. "Les divins et vivifiants sacrements sont une preuve évidente que le Seigneur est avec nous; il nous faut le découvrir. Il nous laisse mettre les mains de notre coeur dans les plaies des clous et l'ouverture de son coeur, et cette expérience se répète à chaque fois qu'ils sont célébrés, jusqu'à ce que l'homme soit entièrement convaincu et entre dans la connaissance de la Réalité. Voilà pourquoi, parfois, le Seigneur semble cacher sa présence et sa force pour que nous le cherchions avec plus d'application et que nous soyons ainsi confirmés dans sa présence objective, la réalité de son être". Ceci, le Père Jean l'avait remarqué :

"Dans la connaissance naturelle, il arrive que l'on s'appuie une fois pour toutes sur un fait qui servira pour toute la vie et sans aucun problème. Ici, dans le domaine de la foi, il n'en est pas de même. On a connu, prouvé, constaté, et l'on pense : maintenant cet objet de foi me sera pour toujours clair, facile et aimé. Eh bien non! Mille fois, il va s'obscurcir pour toi, s'éloigner de toi et comme disparaître et, ce qu'autrefois nous avons aimé, ce parfum que nous avons respiré, cette joie que nous avons vécue, pour tout cela nous allons éprouver complète indifférence. Alors, parfois dans les gémissements et les pleurs, il faut purifier son coeur pour retrouver l'objet de foi, le saisir et l'envelopper de son amour. Ceci nous vient du péché, et plus particulièrement de l'orgueil et de l'absence de repentir . Le fait de ne pas éprouver dans la prière toute la vérité des paroles que nous prononçons provient d'un manque de foi de notre coeur et de notre insensibilité face à notre situation de pécheur, due à un orgueil inconscient. Lorsque, au contraire, notre âme est éclairée et purifiée, l'expérience intérieure naît dans l'âme, et c'est alors que l'on peut saisir la sublimité du Sacrement".

Le Père Jean écrit encore : "Que se passerait-il, si Toi, Seigneur Dieu Jésus-Christ, faisais briller la splendeur de ta divinité à travers tes sacrements sur l'autel, la patène, le ciboire, ou lorsque le prêtre les porte sur sa poitrine quand il va visiter les malades- En apercevant cette lumière, les gens qu'il rencontrerait sur son passage, ou ceux qui seraient aux fenêtres, tomberaient par terre de frayeur, tout comme les anges eux-mêmes se voilent la face en présence de ta gloire. Et pourtant, comment se comportent la plupart des fidèles à l'égard de ces sacrements célestes! Comment certains prêtres célèbrent-ils, indifférents, les terrifiants mystères divins!"
Ainsi donc, comme chez la plupart d'entre nous, l'expérience personnelle est bien faible, le Père Jean non seulement va nous donner quelques conseils, mais encore va s'appuyer sur le témoignages des colonnes de l'Eglise - les Pères. "Pendant les offices divins, la célébration des sacrements, les prières, sois confiant comme un enfant à l'égard de ses parents. Rappelle-toi que d'éminents Pères de l'Eglise, éclairés par l'Esprit Saint, te guident et t'éclairent. Fais confiance, comme un enfant, à Dieu qui parle en eux. Elève tes pensées vers le Seigneur et libère-toi de tout souci, ne cherchant pas ce que tu dois penser. 'Ce n'est pas vous qui répondrez, dit le Seigneur, mais l'Esprit de votre Père qui parlera en vous' (Mt. 10, 19). Il y a déjà longtemps que le Seigneur nous a ôté tout souci, en enseignant par son Esprit à nos saints Pères ce qu'ils avaient à dire au Seigneur au cours des divins offices, des sacrements et de la Divine Liturgie, dans les diverses circonstances de la vie humaine, qui exigent des prières qui nous apporteront les bénédictions du ciel. La prière devrait donc nous être facile, mais l'ennemi met des obstacles que nous pourrons surmonter si notre coeur est fermement attaché au Seigneur. Et le malheur vient précisément de ce que nous ne sommes pas assez rivés en Dieu, que notre foi est vacillante et que nous sommes prisonniers des passions de la terre, notre intelligence étant pleine d'orgueil et de ténèbres. Alors, l'activité la plus sainte, la plus noble, comme est la célébration de l'oeuvre de Dieu et des divins sacrements, est toute troublée par Satan".

"Pour demeurer ferme dans la vérité, pour nous y confirmer entièrement, il nous suffit du témoignage de la Sainte Ecriture et du Christ-Dieu lui-même. Si donc telle chose y est affirmée, elle est incontestable; si I'Eglise sainte l'enseigne, crois donc fermement, puisque c'est l'Esprit Saint qui la conduit. Si le Christ a dit : Ceci est mon Corps, ceci est mon Sang, il en est vraiment ainsi. Le Christ lui-même garantit l'authenticité des sacrements, et pourquoi donc hésiterais-tu, là où le trouble n'a pas sa place- Dieu est vérité, et cela suffit. 'L'Eglise est la colonne et le support de la Vérité' (I Tim. 3, 15). Le Diable, lui, est mensonge et calomnie. Dieu seul est vérité".

Mais voici que nous rencontrons encore un autre témoignage, celui-là même de l'expérience du Père Jean, nous proposant une analogie assez inattendue. Habituellement, on établit un parallèle entre la présence de l'âme dans le corps et le sang et celle du Seigneur dans le pain et le vin, mais le Père Jean perçoit une autre espèce d'habitation : "Qu'y a-t-il d'étonnant, écrit-il, que le Pain et le Vin deviennent le Corps et le Sang du Christ, puisque Satan habite le petit enfant avant sa naissance et qu'il est marqué par la faute originelle. Et de même que nous ne pouvons vérifier cette présence diabolique et la souillure de l'âme, de même ne pouvons-nous pas vérifier que le Christ, vie et sainteté, habite dans nos coeurs. Seuls la foi et le repentir voient dans le coeur que Dieu a créé pour devenir son Temple. Et comment le Christ ne pourrait-Il pas venir en nous avec sa chair et son sang- Si le diable peut donner l'intelligence et la parole à la Bête de l'Apocalypse comment le Christ ne pourrait -Il pas transformer le pain et le vin en sa chair et en son sang ?".

Enfin, le Père Jean attire notre attention sur le fait que, pour la transsubstantiation, le Seigneur a choisi des réalités faciles à saisir et tellement proches de nous, puisqu'elles sont utilisées comme nourriture et boisson, destinées à être changées en notre chair et notre sang. Ceci certes est, à travers le processus chimique, un miracle de la création qui se produit en nous. Aussi bien "serait-ce Toi, Seigneur, qui ne pourrait faire que ces éléments si familiers à notre corps que sont le pain et le vin, deviennent ta Chair et ton Sang- Ne laisse pas notre foi tomber dans le doute plus qu'elle ne peut le supporter. Ce n'est pas une motte de terre que tu transformes, mais du pain blanc, donc pur et agréable au goût. Ce n'est pas de l'eau que tu transformes en ton Sang, mais du vin, qui lui ressemble par la couleur, ce vin que l'on appelle d'ailleurs 'sang de la grappe' dans la Sainte Ecriture (Sirac 50, 12), agréable au goût et joie pour le coeur de l'homme- Tu sais notre impuissance, la faiblesse de notre foi. Tu as donc bien voulu choisir pour les mystères de ton Corps et de ton Sang les éléments qui convenaient le mieux. Croyons donc que, sous la forme du pain et du vin, nous communions au vrai Corps, au vrai Sang du Christ; que, dans ce Sacrement, le Seigneur demeure avec nous 'tous les jours jusqu'à la fin du monde' (Mt. 28, 20). Terminons en donc, de toute cette série de preuves, par un Amen de foi évangélique. Oui, qu'il en soit ainsi".

On peut comprendre alors pourquoi le Père Jean condamne sévèrement tout ce qui est doute ou manque de foi car, pour lui, ceci témoigne de la mauvaise volonté de l'homme qui n'admet pas tout simplement la vérité. "Redoute par-dessus tout de douter de la vérité et de refuser le don de ta foi. C'est là l'oeuvre de Satan, l'envieux, le diffamateur de la vérité et de la justice. Malheureux celui qui doute, malheureux le serviteur de Satan!". Père Jean fait cependant exception pour le cas où les pensées, les tentations de doute nous assaillent indépendamment de notre volonté et malgré nous, car alors nous ne sommes pas coupables et ne devons pas nous troubler. "Le péché auquel tu ne consens pas ne t'est pas imputé, par exemple, des distractions involontaires dans la prière, des pensées mauvaises ou blasphématoires, une colère contre laquelle nous luttons énergiquement, un égoïsme qui nous répugne. Tout ceci est l'oeuvre de l'esprit du Mal. Notre devoir est de faire preuve de patience, de nous humilier et d'aimer".

Pour le croyant, tout est si simple! Mais même si quelqu'un demandait de bonnes raisons philosophiques pour résoudre ces grands problèmes autrement, donc, que par le chemin tout simple de la foi, il pourra trouver chez le Père Jean la clé d'un enseignement basé sur l'expérience de la simplicité de la sagesse et de la sagesse de la simplicité. "Ce n'est pas le lieu d'approfondir en détail l'explication doctrinale de ce que nous avons déjà dit, mais de saisir la réalité que voici : Dieu est l'être simple par excellence, un, sans aucune complexité. C'est bien clair. Quiconque ne l'a pas expérimenté ne peut rien comprendre de ses oeuvres. Mais donnons un exemple tout simple : l'air que nous respirons. La chimie nous parle des divers éléments qui le constituent mais, non seulement pour nous, les gens ordinaires, mais même pour les chimistes, il est saisi entièrement dans sa simplicité car, en fin de compte, il est simple, et si simple que la chimie ne peut le concevoir entièrement. Il faut l'accepter tel qu'il est, avec simplicité. Ainsi en est-il de Dieu, qui est d'une simplicité supérieure". C'est pourquoi le comprendre, le concevoir, n'est possible qu'en l'accueillant avec simplicité, sans le secours d'éléments étrangers destinés à aider notre intelligence. Ils ne pourraient que compliquer notre recherche sans vraiment nous aider. "Dans l'univers, tout est simple. Voici pourquoi tout est perçu avec simplicité. Le monde surnaturel lui aussi est simple, encore plus simple, et on ne peut le recevoir, le saisir, qu'à travers notre simplicité, je veux dire par la foi. Le dogme de la Sainte Trinité est tout simple. L'intelligence seule ne peut le comprendre et celui qui le connaît par l'expérience ne peut que le balbutier aux autres à travers les mots qu'il emploie. Le simple ne peut être objet de raisonnement, ni traduit par des mots qui ne sont qu'un reflet de l'expérience acquise".

Le Père Jean le savait parfaitement. Voilà pourquoi il écrit très souvent au sujet de cette sainte simplicité : "Le chrétien doit vivre en ce monde avec simplicité et sagesse, et la vraie sagesse, c'est la simplicité. La sagesse divine, le Christ, est Sagesse hypostatique de Dieu. C'est elle qui nous donne la simplicité du coeur. "Sagesse, debout!" chante l'Eglise au cours de la Liturgie. Soyez simples, écoutez et recevez dans la simplicité du coeur les divins sacrements. La simplicité de la foi est incomparablement plus sage que l'intelligence de l'homme. Et l'on peut dire plus encore : les recherches de l'intelligence qui veut comprendre en dehors de la simplicité de la foi sont stériles et mensongères, alors que la sagesse du simple est comblée, car elle n'a besoin de rien d'autre et son espérance est même dépassée".

 

retourRetour