LA FONDATION DE LA PAROISSE DES TROIS SAINTS HIÉRARQUES :
les fondements théologiques et spirituels du retour à l’Icône.
L’esprit de la filiation
Cette attitude de respect vis à vis des canons implique, au niveau spirituel, le même respect de la filiation. Dire que telle Eglise locale tire sa canonicité de l’Eglise universelle, par exemple, et non d’une autre Eglise locale, implique le refus de la filiation spirituelle, ce qui est aussi mortel au niveau ecclésial qu’au niveau personnel. Cette filiation est indispensable à la gestation, à l’engendrement comme à la maturation de l’être spirituel ; elle est indispensable à la nouvelle naissance d’en haut. La Tradition de l’Eglise signifie la « transmission » du don du Saint Esprit ; et cette transmission, comme tout ce qui se passe dans l’Eglise de la Divinité Tri-personnelle, ne peut être que personnelle, s’effectuer d’une personne à une autre, dans l’unité d’obéissance qui découle de l’amour. La Tradition est la Tradition des Pères, de nos Pères, ceux qui ont ouvert nos yeux spirituels.
La filiation de l’Eglise Mère est personnelle, hypostatique, elle n’est ni culturelle ni linguistique. Il ne suffit pas de parler la même langue ni de chanter les mêmes mélodies si la communion a été rompue par ailleurs avec ceux qui nous ont communiqué le don du Saint Esprit. Mais ce serait une folie de vouloir refuser, en tout cas pour point de départ et pour donnée de base, les formes à travers lesquelles nous avons reçu « la lumière de la Vie », et qui sont aussi, entre autres, culturelles et linguistiques. Les choses se passent de la même manière tant dans la vie de chacun que dans la vie des Eglises. Saint Paul dit : « Quand vous auriez dix mille maîtres en Christ, vous n’avez cependant pas plusieurs pères, puisque c’est moi qui vous ai engendrés en Jésus Christ par l’Evangile. Je vous en conjure donc, soyez mes imitateurs.» Il est donc inévitable que cette « imitation » s’accompagne d’une intégration plus ou moins grande des formes culturelles qui caractérisent l’enseignement et la personnalité de nos maîtres.
Dans le même sens, il est impossible qu’une Eglise universelle, comprise comme une abstraction, distincte d’une ou des Eglises locales, ou bien comprise comme leur ensemble (86), à la manière de l’universalisme romain, engendre une nouvelle Eglise locale ; et cela ne devrait pas être « n’importe » quelle Eglise locale ; mais de l’Eglise locale Mère, qui est universelle parce que catholique, l’Eglise locale Fille, en recevant l’être, reçoit et l’universalité et la catholicité.
C’est aussi la même chose dans l’iconographie : une icône spécifiquement locale ne peut naître dans le refus des propriétés personnelles, et donc aussi culturelles, des maîtres qui nous ont transmis, à travers ces formes mêmes, l’iconicité universelle, c’est-à-dire qui ont ouvert nos yeux spirituels. La personnalité de chacun est aussi constituée de ce qu’ont été ses maîtres, au même titre que de sa nationalité. Et c’est à travers l’approfondissement de cette iconicité déterminée que, peu à peu, l’authenticité de la vie spirituelle fera jaillir une nouvelle iconicité locale, à partir des caractéristiques propres qui constituent la personne de chacun, sa nationalité, sa culture, son expérience, et qu’un style nouveau se créera de lui-même, sans élaboration réfléchie et sans recherche. Le seul souci demeure l’ascèse spirituelle et l’exigence d’iconicité : « Cherchez d’abord le Royaume des Cieux et sa justice, et tout le reste vous sera donné par surcroît ». « Nous disons que ce qui est vrai ne craint rien ; et nous pouvons aussi dire ceci, que ce qui est vrai apparaît sans effort. (…) La Mère de Dieu est Celle qui porte sans effort. (…) C’est sans effort qu’elle donna naissance à Dieu par l’opération du Saint Esprit qui vint sur Elle. Les choses qui sont vraies sont celles qui se produisent sans effort. Comme dit le Seigneur dans l’Evangile : ‘Voyez comment croissent les lys des champs ; ils ne peinent ni ne filent’. Ils ne se fatiguent pas, ils ne tissent pas, et pourtant Salomon dans toute sa gloire, n’a pas été vêtu comme l’un d’eux (87)».
Il faudrait donc éviter de reprendre tel ou tel style iconographique pour des questions de goût ou de « mode » ou de nationalité, en quelque sorte « de force ». Reprendre un style artificiellement, ce qui est une tentation répandue de nos jours à cause de l’expansion des reproductions photographiques, manifeste une sorte de refus d’obéissance, et donc de la filiation, c’est quelque chose de très grave : il empêche la résurrection qui succède à la mort de l’obéissance. Et sans cette nouvelle naissance, il n’y a pas non plus d’homme nouveau ni de création nouvelle.
86) Lorsque une Eglise reçoit l'autocéphalie d'un concile, comme ce fut le cas pour Chypre ou Jérusalem, le concile représente la plénitude de l'Eglise et sa manifestation visible et, comme tel, il est tout aussi local. Comme on sait, l'"ecuménicité " du concile ne lui vient pas du nombre de ses membres, représentant ou non les Eglises " au complet ", mais de son inspiration par le Saint Esprit et de ce qu'il exprime la volonté de Dieu. Et pour notre propos, l'essentiel reste la filiation personnelle, ici, en l'occurrence, par tous, et par chacun, des membres du concile.87) Archimandrite Basile, Abbé du monastère d'Iviron au Mont Athos, Le Chrétien dans un monde qui change, en anglais : " The Christian in a changing world ", Montréal, 1997, p 37-38.
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